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Le LECTEUR du REVERBERE

Il y a quelques jours à Strasbourg, quelqu'un m'a raconté... Comme il traversait la ville aux alentours de minuit, il a nettement identifié un clochard, un sans logis, un SDF comme on voudra, lisant tranquillement enroulé dans ses hardes, ses loques, son sac de couchage sali, élimé, sous un réverbère. Et voilà qu'écoutant hier les Vier letzte Lieder de Richard Strauss, je repensais à cet homme sans moyens acharné à s'instruire sans gants non plus par plusieurs degrés au-dessous de zéro. A son élégante, sa paisible manière de profiter de l'énergie dispensée par qui? La Cité sûrement, peut-être la centrale de Fessenheim tant qu'elle fonctionne, qu'il en reste, qu'elle n'est ni éteinte ni tout à fait débranchée, un peu comme les otages du pont de Vincennes trouvant encore moyen de rigoler dans le frigo, sans se demander ce qui arrivera après...

Les quatre Lieder étaient interprétés par une stupéfiante diva suédoise supérieure en beauté à Greta Garbo jeune, en talent à Elisabeth Schwartzkopf à tout âge, faut-il encore mentionner la robe verte qui la changeait en tige d'émeraude, l'agenouillement face au public, l'inclinaison de tête évoquant les premiers films de Bergman, ceux qui se déroulent au printemps en forêt mais surtout, surtout cette terrible citation de Clovis ou de l'archevêque de Reims: "Courbe-toi, fier Sicambre..." dont les enfants français de mon époque ne pouvaient regarder l'illustration sans trembler de crainte face aux pouvoirs des monarchies du passé. Et se sentir irradiés de confiance face à l'Institution scolaire qui vous informe tout petits des traquenards dans lesquels elles sont capables de vous mener.

Comme Martin Fourcade sortait d'une victoire, sa première en 2015, voilà que le mot 'breloques' très utilisé par les journalistes à Sotchi, en 2014 donc, m'est aussi revenu à l'esprit... Quinze médailles françaises: quatre d'or, quatre d'argent, sept de bronze. Et aussitôt la musique de Strauss s'est mise à sécréter une rêverie : celle du clochard aux quinze sources de lumière. Imaginez un tel clochard s'apercevant qu'on a éteint son réverbère. Il se procure (en mendiant? en volant? non il n'est pas voleur, il est seulement fauché, expulsé de son pays, de son Eglise, de son Université) quinze porte-clés solaires. Des bleus pastel, des jaunes, des pourpres, des verts émeraude.

De jour, il les passe autour de son cou, les accroche à une ficelle, voire un collier de métal comme ceux que l'archevêque de Reims à demandé à son Sicambre de retirer. Il les expose au soleil tant qu'il y a de la lumière, tant que le jour veut briller. Naturellement, l'anecdote ne se déroule ni près du Cercle polaire ni à Reykjavik. Le soir venu dans le centre ville déserté, il peut continuer de s'adosser au réverbère éteint si vraiment c'est à lui qu'il tient. Ou choisir d'aller s'installer comme ses confrères dans quelque sortie arrière de magasin pour continuer de compulser tranquillement - grâce à ses breloques économisant l'énergie - quelque récit enluminé par les aiguilles de soleil recrachées dans les porte-clés. Quelque récit de joute entre troubadour et trouvère qui ne parasite ni Fessenheim ni réverbère.

Extrait de "La cathédrale de Strasbourg", février 2014, janvier 2015.

Le lecteur du réverbère

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